Il est tard. La lune est pleine ce soir, l'occasion rêvait pour une petite baignade dans le lock en compagnie de mon papa chéri. Je suis heureuse de passer ce moment avec lui. Ma mère ne s'inquiète pas de nous voir sortir à cette heure tardive ? Elle dort déjà. Et si elle se réveillait ? Nous serions partit acheter des glaces … Nous trouvions toujours un moyen de nous éclipser pour passer du temps tous les deux et des excuses plus ou moins crédibles, mais jusqu'à présent elle ne nous avait jamais démasqué, ou du moins, elle le cachait très bien.
Aujourd'hui, j'avais 18 ans et au delà d'un caprice de petite file c'était un besoin pour moi que de passer ce temps là avec lui, comme le temps shopping que j'allais passer avec ma mère dans la journée qui s'annonçait.

Nous avions rendez-vous sur la terrasse de notre maison pour nous rendre ensemble jusqu'au lock. Il était quasiment minuit, autant dire qu'il ne faisait pas chaud, mais ça irait mieux une fois dans l'eau, je n'aurais plus ce problème de température.
J'entends finalement des pas derrière moi. je me retourne vers mon père :

- On y va ? J'ai trop hâte!

La mauvaise idée de tenter d'apprendre quelque chose à des jeunes gens indisciplinés est qu'en temps que parent, on se fait une angoisse que son enfant puisse un jour ressembler, même rien qu'un peu, à ses élèves. Mais c'est une angoisse que je n'ai jamais ressenti avec Moïra. Peut-être à cause de cette nature que nous partageons, qui fait qu'elle a tendance à être plus proche de moi que de sa mère - entendons-nous bien, je n'ai jamais dit que c'était tendu entre elles -, ou bien tout simplement est-ce qu'elle me ressemble.

Alors, concernant cette étape importante qu'est son 18eme anniversaire, je ne me faisait pas d'autre souci que le bon coup de vieux dans les dents que mon épouse et moi avons pris en passant. Et effectivement, ça a été une journée tranquille en famille, loin de la folie de certains jeunes qui mettent trois jours à s'en remettre. C'est pendant que nous nous retrouvions seuls dans la même pièce elle et moi que Moïra m'a fait une demande particulière. Enfin, pas pour nous, mais pour le reste du monde. Profiter de la nuit pour aller nager dans le lac. Bien sur que j'ai accepté sans détour, parvenant à jouer les parfaits innocents lorsque sa mère nous a demandé ce que nous complotions tous deux. Je l'aime assez pour ne pas aimer ce mensonge qui pèse entre nous depuis vingt ans, mais c'est pour sa propre sécurité que je lui mens. Est-ce là ce dont je tente de me convaincre depuis tout ce temps? Peut-être. Pour être honnête, je dirai qu'au tout début, c'était pour la mienne, de sécurité, comme j'ignorais totalement comment elle réagirai à une telle découverte... par la suite, j'ai appris à découvrir et à aimer la femme exceptionnelle qu'elle est, et j'ai été tenté des centaines de fois de le lui avouer. Mais je crois que la force de l'habitude s'est mise en travers de ma route, doublée du fait que je ne supporterai pas qu'elle se sente trahie par une telle cachoterie.

Il est bientôt minuit lorsque j'émerge, m'étant endormi là où je devais me contenter d'une sieste le temps que ma compagne ne ferme les yeux. Je l'embrasse sur la tempe avant de remonter le drap sur son épaule, conscient de la fraicheur de la nuit, et sors de la pièce en veillant à ne pas faire craquer cette maudite latte que je me suis juré de réparer depuis quinze bonnes années. Je traverse la maison vide et sombre jusqu'à rejoindre la terrasse, où ma fille m'attends déjà, me faisant part de son impatience. Je m'installe à coté d'elle, m'appuyant sur la balustrade tout en jetant un regard aux eaux cristallines s'étalant à perte de vue devant nous. Une maison au bord du Loch, ça a été ma seule réclamation suite à l'idée de m'installer définitivement sous cette apparence loin de refléter ma véritable nature. Et comme ma chère et tendre espère toujours apercevoir le monstre du lac, nous nous sommes rapidement entendus sur ce point. Si je la nargue ainsi? Je dois bien avouer m'être déjà aventuré trop près du bord pour lui offrir un aperçu fugace de mes écailles. Je ne veux pas décevoir son rêve, certainement pas en lui expliquant par a + b qu'il n'y a aucune créature dans l'eau.

"Je sais ma grande, je sais. Vas-y, je te rejoins. Deux minutes, promis. Pas une de plus."

Je la sers rapidement contre moi et elle est déjà partie. Pour ma part, je retourne à l'intérieur pour lui trouver deux trois trucs à se mettre sur le dos en ressortant. Déjà, l'air est vif, ensuite, elle est si excitée que je sens qu'elle va zapper une étape en se transformant... J'abandonne donc un tas de vêtements sur le bord du lac avant de retirer mon tee-shirt. Pour le reste, j'ai bientôt cinquante ans d'expérience pour la jouer à la Twilight, ne vous inquiétez pas pour moi.

Il arrive enfin. Il me serre dans ses bras, me dis d'y aller, qu'il arrive. Je ne lui laisse pas le temps de dire autre chose que je suis déjà au bord de l'eau. J'ai un sourire jusqu'aux oreilles. J'enlève mon tee-shirt et mon short et je plonge sans plus de ménagement dans les profondeurs du lac, il fait trop froid pour réfléchir plus longtemps. Je ne regarde pas autour de moi, pour être sûre de ne pas être observée ? Nous sommes les seuls à habités aussi près du lac, ma mère dors paisiblement et je n'ai jamais vu quelqu'un aussi tard près du lac … Une histoire de monstre dans le lac 'paraît...

En quelques secondes à peine mes jambes se rapprochent est deviennent une queue pleine d'écailles blanches, ainsi que mes bras qui ont aussi quelques écailles dorées. Et puis je ne le vois pas, mais je sais que le reste de mon corps aussi s'est transformée, enfin plutôt est revenue à la normale. Je n'ai plus rien de l'apparence humaine que j'ai pour le reste du monde, je suis redevenue moi-même, même si parfois j'ai l'impression que c'est là que je me transforme… c'est assez étrange.

Je vais vite grâce à mes nageoires. Je fais plusieurs mètres d'un seul coup de queue, c'est une sensation incroyable. J'ouvre grand la bouche et deux trois poissons viennent s'y engouffrer; je n'en fais qu'une seule bouchée.
Je fais des vas et viens. Je vais tout au fond pour me frotter contre les pierres. Je finis par remonter à la recherche de mon père. Je l'aperçois alors que je suis à la limite de la surface. Je reste à porter de vue, toujours, c'est la règle, pourtant je sais qu'il sait que je suis là. Je l'attends. Il ne faut pas longtemps pour qu'il me rejoigne dans l'eau. Je souris de toutes mes dents, mais de votre vu à vous, ça doit plutôt avoir l'air d'une grimace, ou d'une horreur, à vous de voir ein...

Le contact de l'eau froide du lac ruisselant sur mes écailles alors que je transperce les flots. Une sensation impossible à décrire face à quiconque ne l'a jamais expérimentée. Chaque fois le même plaisir, qui ne saurait se teinter de lassitude. J'apprécie la vie que j'ai bâtie à la surface, mais ça, c'est vraiment moi.
Je m'autorise quelques vrilles sous-marines avant de remonter à la surface pour me rapprocher de Moïra, ma chair et mon sang. J'ai passé des années à écumer le lac en solitaire entre le décès de ma pauvre mère et la première transformation de mon enfant, et aujourd'hui, je ne saurai songer à remettre ça. Les plongeons dans le lac, c'est quand même mieux à deux.
Je jurerai qu'elle a encore gagné plusieurs centimètres depuis notre dernière sortie. A vrai dire, je suis même convaincu qu'elle me dépassera, d'ici quelques années. Jaloux? Inquiet plutôt. Malgré mon gabarit, j'ai la chance de bénéficier d'un camouflage assez efficace, de par la couleur gris d'eau de mes écailles. Ma fille s'apparente davantage à une baleine blanche...Elle est magnifique... mais si facile à remarquer sur les flots ternes.

Je reste un moment à l'observer, me disant que si ceux de notre race courraient les étangs, j'aurai bien du souci à me faire. Enfin, vu qu'elle est aussi belle sous forme humaine que sous celle d'un dragon... j'ai déjà du souci à me faire. Je plonge pour éviter que mon expression ne lui soit trop simple à déchiffrer, balançant une grande claque d'une nageoire sur l'eau avant de foncer vers le large, sachant qu'elle me suivra.

Il me rejoint. Il fait quelques vrilles. Je souris de plus belle. Je suis heureuse qu'il soit avec moi en cet instant. On a pas tous les jours dix huit ans comme dirait grand-mère. J'avais reçu une lettre de sa part qui allait en ce sens en tout cas. Je comptais bien passer ma nuit ici dans ses eaux sombres que je connaissais depuis mon plus jeune âge. Lorsqu'avait eu lieu ma première transformation s'est mon père qui m'avait guidé, comme de bien entendu.

Sa claque sur l'eau, je l'entends avant de la voir. "Papa! Niveau discrétion on a connu mieux !" Et on se demande d'où viennent les rumeurs sur ce lac et un certain monstre qui y logerait. Ca devait venir de sa mère ou de sa grand-mère, mais il entretient le mythe c'est clair. A croire que ça l'amuse.
Nous nous enfonçons dans les eaux sombres, vers le large. Il est plutôt large ce lac, de quoi passer inaperçu si nous le souhaitons, de quoi bien nous défouler…
Il ne nous faut que quelques instants pour nous retrouver en plein milieu du lock tous les deux.

L'eau est fraîche, mais ça fait un bien fou. J'aperçois la lune, loin au dessus de nous, c'est plus un reflet d'ici. Elle est magnifique ! Et c'est cette pensée que j'exprime à mon père. Pour vous ce ne sont que des sifflements comme le ferait une baleine ou un dauphin, mais pour nous c'est un véritable langage.

- Merci, c'est magnifique!

Je tourne sur moi-même pour signifier ma joie, mes nageoires s'allongent, ma queue aussi. C'est une sorte de danse que j'exécute ensuite, comme le ferait une adolescente pour signifier sa joie, c'est pareil!

- Je comprends que tu n'es pas voulu voir la surface plus tôt, quand tu étais petit. C'est magique!

Ma fille me réprimande sur le manque total de discrétion dont j'ai su faire preuve avant de me suivre. J'omets de lui répondre, mais n'en pense pas moins. J'ai eu dix-huit ans avant elle, et il faut dire ce qui est, j'étais bien moins malin qu'elle à son âge. Les évènements m'ont ensuite appris un peu de sérieux, mais à l'époque, ma curiosité pour le monde des hommes ne s'entendait pas avec la méfiance naturelle envers eux dont ma mère m'abreuvait depuis ma naissance.

Je laisse apparaitre ma dentition acérée en une sorte de sourire lorsque ma fille part totalement en vrille, tout à sa joie d'être ici. Quand à son commentaire? Celui-là trouvera réponse, et je dirai même plus, correction, en vérité.

"Ta grand-mère avait omis de m'expliquer que je pouvais marcher sur deux pattes si je le souhaitais. Je dois avouer avoir été plus revêche dans mon adolescence. Mais je n'ai jamais trouvé endroit plus beau que le fond du lock. Viens voir, j'ai un truc à te montrer."

Si Moïra saura retenir sa respiration assez longtemps pour me suivre? Je le crois, oui, et sinon, tant pis, nous pourrons toujours essayer un autre jour. Je remonte à la surface, frôlant la limite des flots juste assez pour respirer l'air frais de la nuit, en emplissant mes poumons, avant de plonger de plus belle, tout droit en direction du joyau du lac. A savoir? Une certaine grotte engloutie.